MIRAGES DE L'AMOUR






Mal reçu et largement incompris à sa sortie, La sirène du Mississipi est pourtant l’un des films les plus profonds de François Truffaut, un chef d’œuvre passionnel qui en annonce explicitement d’autres, comme La femme d’à côté ou Le dernier métro.

  
Jean-Paul Belmondo et Catherine Deneuve










Qui est Marion ? A vouloir percer le secret de cette sirène apparue à lui sous l’identité d’une autre (Julie Roussel), Louis Mahé commencera par se brûler les ailes — il est vrai que l’altitude le rend malade. L’évocation des vertiges de la rêverie ascensionnelle chère à Bachelard abonde chez Truffaut, ainsi dans cette quête orphique qui préfigure les jeux de leurres dont le cyberespace fait aujourd’hui son miel. "Les gens qui rédigent des petites annonces sont des idéalistes. Les lettres de Julie Roussel étaient très belles. Dans ma correspondance avec elle, nous cherchions à établir des choses définitives. Et c'est toi qui es venue. M'apporter du provisoire." A rapprocher du "Je hais le provisoire, moi, je suis définitif" qu’inspiraient à un inquiétant promeneur les Baisers volés d’Antoine Doinel et Christine Darbon, un an avant cette Sirène ravageuse que Louis boiteux, spolié, infantilisé — et qui a pourtant lu La Peau de chagrin —, veut aimer quoiqu’il lui en coûte.

"J'ai les yeux fermés, pourtant je te vois. Si j'étais aveugle, je passerais mon temps à caresser ton visage." Croire au conte. Ne plus craindre le vide ni la chute. "Même si tout cela doit finir mal, je suis enchanté de vous connaître, Madame."  
Enchanté comme aurait dit Demy, à qui Deneuve renvoie — fatalement. Les mots de Marion, désarçonnée par l’ingénuité de sa victime, annoncent dans l’œuvre de Truffaut d’autres grands drames, d’autres passions. "Je viens à l'amour, Louis... Ca fait mal... Est-ce que c'est ça l'amour ? Est-ce que l'amour fait mal ? — Ca fait mal... Tu es si belle. Quand je te regarde, c'est une souffrance. — Pourtant hier tu disais que c'était une joie ? — Oui, c'est une joie et une souffrance aussi. » C.F.

Article paru en janvier 2009 dans Le Nouvel Observateur