LE BALLON DE LA LIBERTÉ
C’est une petite histoire de sport, de balle et de tactique, qui se confond avec la grande. L’histoire d’une équipe, la Hongrie des années 1950, qui porta l’espoir d’un peuple et connut avec lui le deuil et la désillusion.
25 novembre 1953 : la Hongrie assomme l'Angleterre à Wembley |
En ce temps-là, les opérateurs de bouquets numériques n’avaient pas encore noyé sous les milliards le monde résolument candide du ballon rond. Si l’on parlait de satellite, c’est en pensant à ces spoutniks bientôt lancés de Baïkonour, quoique le mot servît aussi, de ce côté-là du rideau de fer, à désigner un « pays frère ». Ainsi la Hongrie communiste de Mátyás Rákosi, « le meilleur disciple de Staline ». Un épurateur-né, qui n’épargnait pas même ses compagnons de route. En 1951, des dizaines de milliers d’« individus suspects » sont arrêtés et internés. Dans ce climat délétère, le peuple hongrois n’a guère d’occasions de se réjouir spontanément. Les performances d’une équipe de football exceptionnelle vont venir à point nommé atténuer le désarroi ambiant et ranimer, au nom de la beauté du jeu, un sentiment national éprouvé par quarante ans d’avanies.
Peinant à mettre en place sur d’autres terrains le paradis socialiste, le régime compte sur l’exemplarité des joutes sportives et l’écho des vastes stades pour en propager, aussi loin que possible, les vertus supposées ; l’équipe magyare, en vérité, n’est pas née de la dernière averse, qui en 1938 déjà manqua arracher la Coupe du Monde à l’Italie du Duce. Elèves appliqués de l’école danubienne, la plus réputée de l’entre-deux-guerres, les partenaires de Gyorgi Orth cultivaient alors un style alerte, inspiré, que leurs cadets, en quelques saisons aussi courtes et décisives que leurs passes, élèveront jusqu’au mythe. Deux clubs, le Honved, émanation du ministère de la défense, et le MTK, jadis créée par la bourgeoisie juive magyarisée, fourniront au onze d’or son ossature ; Gusztav Szebes, vice-ministre des Sports, en sera le directeur. Ses étoiles s’appellent Puskàs, « le major galopant », Hidegkuti « le grand maître », Boszik « le député footballeur », Czibor « le rebelle », Kocsis « tête d’or » et Grosics « la panthère noire », premier gardien de l’ère moderne. La Yougoslavie titiste, en finale olympique (Helsinki, 1952), cède à la technique joyeuse de ces artistes nonchalants qu’une liesse extraordinaire attend à leur retour à Budapest.
La consécration du « onze d'or » |
4 juillet 1954 : le « miracle de Berne » |
(1) Au début de l’épopée, l’arrière Sandor Szücs avait été pendu pour avoir tenté de s’exiler à l’étranger.
Article paru dans Le Nouvel Observateur le 10 juillet 1999