L’HOMME QUI PENSE POUR TRUMP
Steve Bannon et Donald Trump |
de propagandiste fascisant dirigeait jusque-là le site d’ultradroite Breitbart News. Le 27 juin 2014, Bannon participait via Skype à une conférence consacrée à la pauvreté, organisée au Vatican par une ONG catholique et conservatrice. Publié en anglais par Buzzfeed News et traduit ci-après in extenso — hormis quelques ajouts signalés, nécessaires à la compréhension — le verbatim de ce débat est éloquent : en dépit ou en vertu du caractère souvent décousu et approximatif des propos tenus, il livre un éclairage utile sur la vision du monde et la tonalité idéologique qui devraient inspirer la Maison-Blanche à partir de janvier 2017. On verra que la mise en cause des élites y joue plus que jamais un rôle central.
Steve Bannon :
Je vous parle aujourd'hui depuis Los Angeles, depuis notre siège à Los
Angeles. Je voudrais vous parler de la création de richesse et de ce que
la création de richesse peut vraiment accomplir. Et peut-être le faire
en empruntant une direction légèrement différente, parce que je crois
que le monde, et surtout l’Occident judéo-chrétien, est en crise. C’est
vraiment le principe directeur qui a animé l’édification de Breitbart News :
être une plate-forme qui apporte l’information aux gens partout dans le
monde. Principalement à l’Ouest, mais nous nous développons de manière
internationale pour aider les gens à comprendre les profondeurs de cette
crise. C’est une crise du capitalisme, mais aussi des fondements mêmes
de l’Occident judéo-chrétien.
Il
est ironique, il me semble, que nous discutions aujourd’hui à la veille
du jour où, il y a exactement cent ans, l'assassinat de l'archiduc
François-Ferdinand à Sarajevo entraînait la fin de l'époque victorienne
et le début du siècle le plus sanguinaire de l'histoire de l'humanité.
Pour remettre les choses en perspective : avant le meurtre perpétré il y
a cent ans, le monde était en paix. Il y avait du commerce, de la
mondialisation, du transfert de technologie, les Églises anglicane et
catholique et la foi chrétienne étaient dominantes en Europe. Sept
semaines plus tard, cinq millions d'hommes, je pense, étaient sous les
drapeaux et en un mois, il y avait plus d’un million de morts. Cette
guerre a été le déclencheur d’un siècle d’une barbarie sans égale dans
l’histoire de l’humanité. Près de 180 à 200 millions de [personnes ont
été tuées] au 20e siècle, et je crois que dans des centaines
d’années, quand on regardera en arrière, [on dira que] nous sommes les
enfants de cela. Nous sommes les enfants de cette barbarie. On ne sera
pas loin de contempler ça comme un nouvel Âge sombre.
Mais
la chose qui nous en a extirpés, le principe directeur qui a dû faire
face à cela, ce ne fut pas seulement l’héroïsme de nos peuples — qu’il
s’agisse des combattants de la Résistance française, des combattants de
la Résistance polonaise, des jeunes gens de Kansas City ou du Middle
West qui débarquèrent sur les plages de Normandie ou des commandos
anglais qui combattirent aux côtés de la Royal Air Force, qui ont
combattu dans cette guerre immense, la guerre de l’Occident
judéo-chrétien contre les athées, d’accord ? Le principe sous-jacent,
c’est une forme éclairée du capitalisme, ce capitalisme qui nous a donné
pour de bon les ressources nécessaires. Il a en quelque sorte organisé
et fabriqué les matériels qu’il fallait pour soutenir l’Union
soviétique, l’Angleterre ou les États-Unis, et à la fin pour reprendre
l’Europe continentale et repousser un Empire barbare en Extrême-Orient.
Ce
capitalisme, en réalité, a généré une richesse formidable. Et cette
richesse a été réellement distribuée au sein de la classe moyenne, une
classe moyenne émergente, des gens qui venaient de vrais milieux
ouvriers, et elle a créé ce que nous appelons une Pax Americana.
Ce fut une période de paix qui dura beaucoup, beaucoup d’années et de
décennies. Je crois que nous avons en partie dérapé dans les années qui
ont suivi la chute de l’Union soviétique, et nous vivons maintenant au
21e siècle le début de ce qui est, je le crois fermement, une
crise de notre Église, une crise de notre foi, une crise de l’Occident,
une crise du capitalisme.
Nous
sommes dans les phases finales d’un conflit extrêmement brutal et
sanglant, et si les gens dans cette salle, les gens à l’église, ne
s’unissent pas pour former réellement ce qui constitue à mes yeux une
dimension de l’Église militante, pour être vraiment à même non seulement
de défendre nos convictions mais de combattre pour nos convictions
contre cette nouvelle barbarie qui s’amorce, [ce conflit] anéantira
entièrement tout l’héritage des 2 000 à 2 500 dernières années.
Maintenant,
[voici] ce que je veux dire spécifiquement ici : je pense que nous
avons devant nous trois sortes de tendances convergentes : l’une est une
forme de capitalisme qui s’est éloignée des fondements spirituels et
moraux du christianisme et, de fait, de la pensée judéo-chrétienne. Je
le constate jour après jour. Je suis un capitaliste très pragmatique.
J’ai été formé chez Goldman Sachs,
je suis passé par la Harvard Business School, j’étais un capitaliste
aussi impitoyable que les autres. Je me suis spécialisé dans les médias
et l’investissement dans les entreprises de communication, et c’est un
milieu très, très dur. Et je me suis plutôt bien débrouillé. Alors je ne
veux pas avoir l’air gnangnan, dans le genre « Tenons-nous la main et
chantons tous ensemble à la gloire du capitalisme ». Mais il y a une
face du capitalisme aujourd’hui — deux faces en fait, qui sont très
dérangeantes [inquiétantes (disturbing)].
L’une
est le capitalisme d’État. C’est le capitalisme qu’on retrouve en Chine
et en Russie. Je crois que c’est ce que le Saint-Père [le pape
François] a connu pendant la majeure partie de sa vie dans des endroits
comme l’Argentine, où on a cette espèce de capitalisme népotique, avec
des gouvernants qui sont liés aux forces armées, et cela constitue une
forme brutale de capitalisme qui ne consiste en fait qu’à créer de la
richesse et de la valeur pour une très faible portion de la population.
Et ne propage pas [cette] énorme création de valeur à travers des
processus distributifs élargis comme cela fut le cas au 20e siècle.
La deuxième forme de capitalisme que je trouve presque aussi inquiétante est ce que j’appelle l’École Ayn Rand [1], ou École objectiviste du capitalisme libertarien. Et, sachez-le, sur bien des plans je suis très convaincu par le libertarianisme.
J’ai beaucoup, beaucoup d’amis qui forment une très grosse proportion
du mouvement conservateur — que ce soit le mouvement UKIP en Angleterre,
ou bien [des gens qui sont à la source] du mouvement populiste en
Europe et particulièrement aux États-Unis. Toutefois, quand vous
l’analysez vraiment, cette forme de capitalisme est très différente de
ce que j’appelle le « capitalisme éclairé » de l’Occident
judéo-chrétien. C’est un capitalisme qui vise vraiment à faire des gens
des marchandises, à les chosifier, et presque à profiter d’eux — comme
[le disent nombre] des préceptes de Marx — et c’est une forme de
capitalisme [que] les générations plus jeunes trouvent vraiment tout à
fait séduisante. Et si elles n’y voient pas d’alternative, ce sera
l’alternative autour de laquelle elles graviteront, dans le cadre de
cette espèce de « liberté individuelle ».
L’autre
tendance, c’est une immense sécularisation de l’Occident. Et je sais
que cela fait longtemps que nous parlons de sécularisation, mais si vous
regardez les plus jeunes, surtout les moins de trente ans, l’écrasante
pression de la culture populaire consiste à séculariser totalement cette
génération montante.
Maintenant
ce signal coïncide avec quelque chose qu’il nous faut regarder en face,
et c’est un sujet très déplaisant — mais nous sommes engagés dans une
guerre totale contre le fascisme djihadiste islamique. Et cette guerre
est, je crois, en train de métastaser bien plus rapidement que les
gouvernements ne sont capables de la contrôler. Si vous regardez ce qui
se passe avec Daech, c’est-à-dire l’État islamique en Syrie et au
Levant, lequel forme maintenant le califat qui exerce une pression
militaire sur Bagdad… Si vous regardez leur sophistication, ils ont
emprunté les instruments mêmes du capitalisme.
"Une guerre totale contre le fascisme djihadiste islamique" |
Si vous regardez ce qu’ils ont fait avec Twitter, et Facebook, et les
moyens modernes de lever de l’argent, notamment par le financement
participatif, sans parler de leur accès aux armements… Ces derniers
jours ils ont mené un programme radical consistant à prendre des enfants
pour essayer d’en faire des bombes humaines. Ils ont chassé 50 000
chrétiens d’une ville proche de la frontière kurde. Nous avons une vidéo
que nous allons mettre en ligne dans quelques heures sur Breitbart où
on les voit prendre cinquante otages, en Irak, et les jeter d’une
falaise. Cette guerre s’étend et métastase vers l’Afrique
sub-saharienne. Il y a Boko Haram et d’autres groupes qui finiront par
s’associer à Daech dans cette guerre mondiale, et c’est, hélas, quelque
chose auquel nous allons avoir à faire face, et ce très rapidement.
C’est
pourquoi je pense que la discussion sur le plafonnement ou non de la
création de richesse, et sur la redistribution, c’est quelque chose qui
devrait être au cœur de chaque chrétien capitaliste : « Quelle est la
finalité de ce que je fais de cette richesse ? Quelle est la finalité de
ce que je fais avec la faculté que Dieu nous a donnée, que la divine
providence nous a donnée pour être effectivement un créateur d’emplois
et un créateur de richesse ? » Je crois qu’il est de notre devoir à tous
de regarder les choses vraiment de près et de nous assurer que nous
réinvestissons dans des choses positives. Mais aussi de nous assurer que
nous comprenons que nous n’en sommes qu’au tout début d’un conflit
mondial, et si nous ne nous rassemblons pas, en partenaires, avec
d’autres dans d’autres pays, ce conflit ne fera que métastaser. Il y a
un compte Twitter aujourd’hui, tenu par Daech, qui parle de transformer
les États-Unis en « rivière de sang » si nous allons là-bas et tentons
de défendre la ville de Bagdad. Et faites-moi confiance, ça va arriver
en Europe. Ça va venir en Europe centrale, ça va venir en Europe de
l’Ouest, ça va venir au Royaume Uni. Et donc je crois que nous sommes
dans une crise des fondements même du capitalisme, et pour couronner le
tout, nous sommes désormais, je crois, aux stades préliminaires d’une
guerre mondiale contre le fascisme islamique.
Benjamin Harnwell (Institute for Human Dignity) :
Merci, Steve. C’était un tour d’horizon fascinant, fascinant. Je suis
particulièrement frappé par votre argument selon lequel la diffusion du
capitalisme à travers le monde sur des bases judéo-chrétiennes est, en
fait, quelque chose qui peut créer de la paix entre les peuples plutôt
que des antagonismes, ce qui est souvent un point insuffisamment
considéré. Avant que je ne me tourne pour prendre une question —
Bannon :
Une chose que je veux préciser, c’est que si on regarde les leaders du
capitalisme à cette époque, quand le capitalisme était, je crois, à son
apogée et diffusait ses bénéfices à la plupart de l’humanité, presque
tous avaient un lien fervent à l’Occident judéo-chrétien. Ils vivaient
activement la foi juive, ils vivaient activement la foi chrétienne, ils
gardaient leurs convictions, et les fondements de leurs convictions se
manifestaient dans le travail qu’ils accomplissaient. Je crois que c’est
incroyablement important, et que c’est quelque chose qui s’est
réellement perdu. Je peux le constater aujourd’hui à Wall Street — je
peux le constater avec la titrisation de tout : tout est vu comme une
opportunité de titrisation. On prend les gens pour des marchandises. Je ne crois pas que nos prédécesseurs pensaient ainsi.
Harnwell :
Au cours de cette conférence, nous avons entendu différents points de
vue relatifs à la réduction de la pauvreté. Nous avons entendu des
positions de centre-gauche, des positions socialistes, des positions
démocrates-chrétiennes, si on peut le dire ainsi. Ce qui m’intéresse
particulièrement quant à votre point de vue, Steve, pour évoquer
spécifiquement votre travail, c’est que Breitbart est très proche du Tea party. Parlez-nous un petit peu de Breitbart,
de ce qu’est sa mission, et puis parlez-moi de l’audience qui est la
vôtre, et puis ensuite pourrez-vous nous en dire un peu plus sur la
dynamique de ce qui se passe actuellement aux États-Unis ?
Bannon : En dehors de Fox News et du Drudge Report,
nous sommes le troisième site d’information conservateur, en termes de
fréquentation et, très sincèrement, nous avons une audience globale plus
importante même que Fox. Et c’est pourquoi nous nous développons aussi
fort au niveau international. Écoutez, nous pensons — très fort — qu’il
existe un mouvement « Tea party » mondial. Nous avons pu le constater.
Nous avons été le premier groupe à étudier et à commencer à parler de
phénomènes comme le mouvement UKIP,
le Front national et d’autres mouvements de centre-droit. Avec tout le
passif que ces groupes véhiculent — et croyez-moi, beaucoup d’entre eux
véhiculent un lourd passif, sur les questions ethnique et raciale. Mais
nous pensons que tout cela s’apaisera avec le temps.
Nigel Farage (UKIP), Donald Trump, Marine Le Pen |
La
chose centrale qui cimente tout cela est un mouvement populiste de
centre-droit de la classe moyenne. En fait, des hommes et des femmes qui
travaillent et qui en ont simplement assez de la tutelle de ce que
j’appelle le parti de Davos. Nous ne sommes pas des adeptes des théories
conspirationnistes, mais il y en a certainement — et j’ai pu le voir
quand je travaillais chez Goldman Sachs : il y a des gens à New York qui
se sentent plus proches des gens de Londres et de Berlin que des
habitants du Kansas et du Colorado, et ils [sont surtout habités par]
cette mentalité élitiste en vertu de laquelle ils vont dicter à chacun
comment le monde va être gouverné. Je vous dirais que les travailleurs
et les travailleuses d’Europe, d’Asie, des États-Unis et d’Amérique
latine ne pensent pas ainsi. Ils pensent savoir ce qui est le meilleur
pour mener leur vie. Ils pensent savoir ce qui est le meilleur pour
élever et éduquer leurs familles. Aussi je crois que vous assistez là à
une réaction mondiale à un gouvernement centralisé, que ce gouvernement
se trouve à Pékin, à Washington ou à Bruxelles. Nous sommes donc [avec
notre site] la plate-forme qui porte cette voix.
Maintenant,
ceci dit, nous sommes de farouches capitalistes. Et nous croyons dans
les bénéfices du capitalisme. Et, notamment, que plus le capitalisme est
intransigeant, meilleur il est. Cependant, comme je l’ai dit, il y a
deux faces du capitalisme qui nous inquiètent beaucoup. La première est
le capitalisme népotique, ou ce que nous appelons le capitalisme d’État,
et c’est la grande chose que combat le Tea party aux États-Unis, et en
fait le plus grand combat du Tea party ne l’oppose pas à la gauche,
parce que nous n’en sommes pas encore là. Le plus grand combat du Tea
party aujourd’hui est exactement comme celui de l’UKIP. Le plus grand
combat de l’UKIP l’oppose au Parti conservateur. Le plus grand combat du Tea party aux États-Unis l’oppose à l’establishment républicain,
qui est vraiment une assemblée de capitalistes népotiques : ils pensent
que les règles diffèrent selon qu’ils agissent à titre personnel ou
qu’ils gèrent [les affaires publiques]. Et, très sincèrement, c’est la
raison pour laquelle la situation financière des États-Unis est si
terrible, à commencer par nos déficits publics. Nous avons virtuellement
cent mille millions de dollars de passif non capitalisé. Et tout ça
c’est parce qu’on a cette espèce de capitalisme népotique à Washington.
L’essor de Breitbart est directement lié au fait qu’il est la
voix de cette opposition de centre-droit. Et, très franchement, nous
remportons de nombreuses, nombreuses victoires. Sur les questions de
conservatisme social, nous sommes la voix du mouvement anti-avortement,
la voix du mouvement en faveur du mariage traditionnel, et je peux vous
dire que nous remportons victoire sur victoire. Les choses sont en train
de tourner dans la mesure où les gens ont une voix et une plate-forme
dont ils peuvent se servir.
Harnwell :
Il y a de quoi être extrêmement impressionné par le troisième site
d’information conservateur. Pouvez-vous nous dire, pour les gens, ici,
qui n’appartiennent pas à l’« anglosphère » et qui ne suivent peut-être
pas la politique intérieure américaine en ce moment — il semble y avoir
un changement radical en ce moment dans l’Amérique profonde. Et le
leader de la majorité républicaine [à la Chambre des représentants], Eric Cantor,
a été battu il y a quelques semaines par un candidat du Tea party.
Qu’est-ce que cela nous dit de l’état actuel de de la politique
intérieure américaine ?
Bannon :
Pour tout le monde, dans votre public, c’est l’une des plus
monumentales — et même la plus grande — des surprises électorales de
l’histoire de la République américaine. Eric Cantor était le leader de
la majorité à la Chambre, et il avait levé dix millions de dollars pour
sa campagne. Il a dépensé huit millions, pour son compte et certains
groupes extérieurs, afin de conserver sa circonscription. Il avait pour
adversaire un chrétien évangélique et un économiste libertarien. Il
affrontait un professeur qui ne disposait lui que d’un budget de 175 000
dollars. En fait, les seules factures de la campagne d’Eric Cantor dans
un restaurant chic de Washington ont dépassé les 200 000 dollars. Tout
au long de la campagne ils ont donc dépensé plus de 200 000 dollars à
inviter à dîner des gros bonnets dans une rôtisserie de Washington, soit
davantage que ce dont tous leurs adversaires disposaient.
Eric Cantor battu en Virginie par un candidat du Tea Party |
Maintenant, Eric Cantor, ça a été un raz de marée. Il a perdu 43 à 57%, et aucun site d’information en dehors de Breitbart — car nous avons couvert cette campagne intensivement pendant six mois —, pas plus Fox News que Politico,
n’a relevé ce fait [le montant des factures de restaurant]. La raison
pour laquelle son adversaire a gagné est la suivante : les gens de la
classe moyenne et les gens de la classe ouvrière en ont assez des gens
comme Eric Cantor, qui disent être des conservateurs et les trahissent
chaque jour en faveur des capitalistes népotiques. Qu’il s’agisse de
l’UKIP et de Nigel Farage au Royaume-Uni, de ces groupes [qu’on voit]
aux Pays-Bas, en France, du nouveau Tea party [apparu] en Allemagne, la
thématique est la même. Et la thématique ce sont les gens des classes
moyenne et ouvrière qui disent, « Eh, je travaille plus dur que je n’ai
jamais travaillé, j’en retire moins de bénéfices que jamais, je reçois
moins de richesse et je contemple un système de gros bonnets qui disent
qu’ils sont conservateurs et soutiennent les principes du capitalisme,
mais tout ce qu’ils font c’est de s’allier aux corporatismes ». La
droite ? Des corporatistes, [soucieux] d’engranger tous les bénéfices
pour eux-mêmes.
Cette
révolte de centre-droit est vraiment une révolte mondiale. Je pense que
vous allez la voir arriver en Amérique latine, je pense que vous allez
la voir en Asie, je pense que vous l’avez déjà vue en Inde. La grande
victoire de Modi
a largement reposé sur ces principes reaganiens, aussi je crois que
c’est une révolte mondiale, et nous avons beaucoup de chance et de
fierté d’être le site d’information qui en rend compte à travers le
monde.
Harnwell :
Je crois qu’il est important de comprendre la distinction que vous
dessinez ici entre ce qui peut être compris comme un authentique
capitalisme libéral vu comme moyen de promouvoir une richesse qui [inintelligible]
implique tout le monde, et une forme de capitalisme népotique qui ne
profite qu’à une classe particulière. Nous avons pu visionner au cours
de notre conférence deux vidéos produites par l’Institut Aspen
sur la façon dont l’aide au développement est dépensée à
l’international, et sur la façon dont elle peut être détournée [de ses
objectifs] : elle nuit aux populations sur le terrain, mais permet
également à la classe dirigeante de se perpétuer. Et le point que vous
soulevez ici, qui a d’après vous pratiquement déclenché un mouvement
révolutionnaire en Amérique, c’est le même phénomène que celui auquel on
assiste dans les pays en développement, c’est-à-dire l’idée d’un
gouvernement qui ne fait plus ce qu’il est moralement engagé à faire,
mais s’est corrompu et tourné vers son propre intérêt.
Bannon : C’est exactement la même chose. Ces temps-ci, si vous lisez The Economist, si vous lisez le Financial Times
cette semaine, vous verrez qu’un organisme relativement obscur au sein
du gouvernement fédéral s’est engagé dans une lutte colossale qui
pourrait conduire à une crise gouvernementale. Il s’agit de l’Export-Import Bank.
Pendant des années, c’était une banque qui aidait à financer des choses
que les autres banques ne voulaient pas financer. Et ce qui s’est passé
avec le temps c’est que ça a métastasé pour devenir un moyen « cheap »
de financer General Electric, Boeing et d’autres grandes entreprises. On
aurait pu obtenir ces financements à partir d’autres sources s’ils
avaient voulu, mais ils ont fait porter ça aux contribuables de la
classe moyenne.
Le
Tea party se sert de cet exemple pour décrire le népotisme. General
Electric et ces grandes entreprises qui sont de mèche avec le
gouvernement fédéral ne sont pas ce que nous pourrions considérer comme
des capitalistes de libre-entreprise. Nous soutenons le capitalisme
entrepreneurial. Ceux-là n’en font pas partie. Ce sont ce que nous
appelons des corporatistes. Ils veulent toujours plus de pouvoir
monopolistique, et mettent en place une sorte de convergence avec le
gros gouvernement. Donc le combat ici — et c’est pourquoi les médias ont
été si longs à s’intéresser à cette histoire — est un combat entre le
capitalisme entrepreneurial, dont l’Institut Aspen est un fervent
soutien, et les corporatistes qui ressemblent davantage aux gens qu’on
imagine à Pékin ou à Moscou qu’à l’esprit du capitaliste entrepreneurial
des États-Unis.
Harnwell : Merci, Steve. Je vais maintenant me tourner vers la salle, car je suis sûr qu’elle a d’excellentes questions à poser.
Questionneur :
Bonjour, je m’appelle Deborah Lubov. Je suis correspondante au Vatican
pour l’édition anglaise de l’agence de presse Zenit. J’ai une certaine
expérience du travail à New York — j’ai travaillé pour
PricewaterhouseCoopers et audité des banques d’investissement, parmi
lesquelles Goldman Sachs. Et puisque cette conférence a pour sujet la
pauvreté, je suis curieuse de savoir — surtout à partir de votre
perspective, de votre expérience dans le monde des banques
d’investissement — quelles mesures concrètes vous pensez qu’il faudrait
prendre pour combattre et prévenir ce phénomène. Nous savons toutes les
sommes d’argent qui sont utilisées dans toutes sortes de domaines, avec
diverses intentions, mais afin de contrer concrètement cette épidémie,
aujourd’hui, que faudrait-il faire, d’après vous ?
Bannon :
C’est une très bonne question. En fait la crise de 2008, je veux dire
la crise financière — dont, du reste, je ne crois pas que nous soyons
sortis — est le fruit de la cupidité, je crois. Pour l'essentiel, cette crise est le fruit de la cupidité des banques d’investissement.
Traditionnellement, les meilleures banques ont un ratio de levier
d’endettement de 8:1. Quand nous avons eu la crise financière en 2008,
les banques d’investissement affichaient un ratio de 35:1. Ces règles
avaient été spécifiquement modifiées par un type nommé Hank Paulson. Il
était secrétaire au Trésor. En tant que président de Goldman Sachs, il
était allé à Washington des années plus tôt et avait réclamé ces
changements. Il en est résulté que les banques n’étaient plus vraiment
des banques d’investissement, mais des hedge funds [des fonds
spéculatifs] hautement exposés aux fluctuations de trésorerie. Pour le
dire très franchement, les États-Unis ne se sont jamais vraiment relevés
de la crise de 2008. C’est l’une des raisons pour lesquelles, au
dernier trimestre, on a eu 2,9 % de croissance négative. Donc l’économie
des États-Unis est dans un état très, très critique.
Henry "Hank" Paulson, ex-secrétaire au Trésor |
L’une
des raisons, c’est que nous n’avons jamais vraiment creusé et démêlé
les problèmes de 2008. Notamment le fait — réfléchissez-y — que pas une
seule charge criminelle n’a été retenue contre aucun responsable
bancaire associé à la crise de 2008. Et en fait, c’est encore pire.
Aucun bonus, aucun intéressement ne leur a été retiré. Certains des
principaux facteurs de la richesse qu’ils ont captée dans les quinze ans
ayant mené à la crise n’ont donc pas été le moins du monde impactés, et
je pense que c’est là l’un des ressorts de cette révolte populiste à
laquelle nous assistons sous le nom de Tea party. Donc je crois qu’il y a
beaucoup, beaucoup de mesures [à adopter], notamment pour que les
banques se portent mieux, pour leur faire utiliser au mieux toutes les
liquidités dont elles disposent. Je pense qu’un vrai nettoyage des
bilans des banques est indispensable.
En
outre, je pense qu’on a réellement besoin de revenir en arrière et de
faire en sorte que les banques fassent leur boulot : les banques de
dépôt prêtent de l’argent, et les banques d’investissement investissent
auprès des entrepreneurs. Et ainsi de sortir de ce trading. Vous savez,
la titrisation des fonds spéculatifs, c’est devenu une opération de
trading et de titrisation basique, sans injection de capital ni
développement des entreprises ou croissance économique. Le soubassement
de cette révolte populiste, c’est la crise financière de 2008. La façon
dont elle a été gérée, la manière dont les gens qui dirigent les banques
et les fonds spéculatifs n’ont jamais été tenus responsables de ce
qu’ils avaient fait, ont largement nourri la colère constatée dans le
mouvement du Tea party aux États-Unis.
Questionneur : Merci.
Bannon : C’était une excellente question.
Questionneur :
Bonjour, M. Bannon. Je suis Mario Fantini, je viens du Vermont et je
vis à Vienne, en Autriche. Vous avez commencé à décrire quelques-unes
des tendances que vous constatez à travers le monde, des tendances très
dangereuses, très préoccupantes. Un autre mouvement que j’ai vu monter
et se propager en Europe, malheureusement, est ce qui ne peut être
décrit que comme un mouvement tribaliste ou néo-nativiste — ces gens
s’appellent eux-mêmes identitaires. Ce sont des groupes globalement
jeunes, populistes, composés d’ouvriers, et ils donnent des cours de
self-défense mais protestent également contre — et tout à fait
pertinemment, je dirais — le capitalisme et les institutions financières
mondiales, etc. Comment contrer ce phénomène ? Parce qu’ils séduisent
beaucoup de gens jeunes à un niveau très viscéral, surtout autour des
questions ethnique et raciale.
Bannon : Je n’ai pas entendu toute la question, notamment à propos du tribalisme.
Questionneur :
Pour le dire très simplement, il y a un mouvement qui monte parmi les
jeunes en Europe, en France, en Autriche et ailleurs. Il conteste avec
beaucoup d’efficacité les institutions de Wall Street et séduit sur les
questions ethnique et raciale. Je me demandais juste ce que vous
conseilleriez pour contrer ces mouvements, qui sont en plein essor.
Bannon :
L’une des raisons qui vous permettra de comprendre ce qui a nourri ces
mouvements, c’est qu’ils ne voient pas les bénéfices du capitalisme. Je
veux dire plus particulièrement — et je pense que c’est particulièrement
plus avancé en Europe que ce ne l’est aux États-Unis, mais aux
États-Unis ça commence à se développer sérieusement — que lorsqu’on a ce
genre de capitalisme népotique, on a des règles différentes pour les
gens qui font les règles. C’est l’alliance entre le gros gouvernement et
les corporatistes. Je pense que ça commence à jouer, surtout quand on
commence à observer une chute des créations d’emploi. Si on regarde en
arrière, en fait, et qu’on observe le PIB des États-Unis, on retrouve
sur bien des plans ce qui se passe en Europe. Une fois retirées les
dépenses publiques, vous savez, nous avons connu une vraie croissance
négative pendant plus de dix ans.
Affiche du Tea party |
Et
tout cela se répercute sur Monsieur tout le monde. Regardez la façon
dont les gens vivent, et particulièrement les adolescents, regardez les
moins de trente ans : parmi les moins de trente ans, il y a 50% de
sous-emploi aux États-Unis, qui est probablement l’économie occidentale
la plus avancée, et c’est encore pire en Europe. Je crois qu’en Espagne,
on a quelque chose comme 50 à 60% des moins de trente ans au chômage.
Et cela veut dire la décennie de leurs vingt ans, là où on apprend une
compétence, un métier, où on commence vraiment à se sentir à l’aise dans
son activité. C’est retiré à toute une génération. Ça ne va faire que
nourrir le tribalisme… C’est pourquoi, à mes yeux, il incombe aux
amoureux de la liberté de faire en sorte que nous nous débarrassions de
ces gouvernements et particulièrement de ce capitalisme népotique, de
façon à ce que les bénéfices relèvent davantage de cet esprit
entrepreneurial et puissent revenir aux gens des classes moyenne et
ouvrière. Parce que sinon, nous allons le payer très, très cher. On
commence à le constater.
Questionneur :
J’ai une question, par rapport à votre expérience à Wall Street.
Qu’est-ce qu’on pense là-bas du renflouement des banques ? Est-ce
justifié ? [inintelligible] La crise a commencé avant 2008. Quel a
été le précédent en la matière ? Quel était le sentiment à Wall Street
quand les banques ont été renflouées ? Comment des chrétiens
devraient-ils se sentir par rapport à ça — y être favorables, ou
opposés ?
Bannon :
Je pense que c’est une question de responsabilité. Pour des chrétiens,
et particulièrement pour ceux qui sont convaincus des fondements
judéo-chrétiens de l’Occident, je ne crois pas que les banques auraient dû être sauvées.
Je pense que les sauvetages de 2008 n’auraient pas dû avoir lieu. Et je
pense, quand on regarde avec le recul, qu’il y a eu beaucoup de
désinformation autour du sauvetage des banques en Occident. Les
contribuables de la classe moyenne, les gens qui appartiennent à la
classe ouvrière, les gens qui gagnent moins de 50 et 60 000 dollars [par
an] : c’est le labeur de ces contribuables qui a renfloué les élites.
Réfléchissons-y une seconde. Voilà comment le capitalisme a métastasé.
C’est tout le fardeau imposé aux gens des classes laborieuses, qui n’en
ont retiré aucun avantage. Tous les avantages sont allés aux
capitalistes népotiques. Les renflouements ont été absolument
scandaleux, et voici pourquoi : ont été renfloués des actionnaires et
des dirigeants qui étaient, en l’espèce, les responsables [de la crise].
Les
actionnaires étaient responsables pour une raison simple : ils ont
permis à la situation de déraper sans rien changer au management, ni aux
équipes de direction concernées. Et cela, nous le savons maintenant à
partir des investigations du Congrès, nous le savons grâce à des
enquêtes indépendantes, ça ne sort pas de quelque conspiration secrète.
C’est en quelque sorte au vu et au su de tous.
En
fait, l’une des commissions du Congrès a évoqué devant le ministère de
la Justice trente-cinq dirigeants, je crois, qui auraient dû être
poursuivis— et pas un d’entre eux n’a jamais fait l’objet d’une enquête.
Parce que même avec un pouvoir démocrate, il y a quelque chose entre
les cabinets d’avocats, les cabinets comptables, les banques
d’investissement et leurs comparses à Capitol Hill [au Congrès], qui
fait qu’ils ont fermé les yeux.
Manifestation du Tea party |
Alors
vous pouvez comprendre pourquoi les gens de la classe moyenne, qui ont
déjà du mal à gagner 50 à 60 000 dollars par an et voient leurs impôts
augmenter, et voient que leurs impôts vont payer pour des sauvetages de
banques sponsorisés par le gouvernement… Ce qui a été créé, c’est
vraiment un blanc-seing. On a dit à ces banques d’investissement
qu’elles avaient un blanc-seing pour les mauvais comportements. En
d’autres termes, tous les avantages vont aux fonds spéculatifs et aux
banques d’investissement, ainsi qu’aux capitalistes népotiques qui
voient augmenter leurs actions et leurs bonus. Et les inconvénients pour
eux sont limités, car les gens de la classe moyenne vont venir les
renflouer avec l’argent des impôts.
C’est,
je crois, ce qui alimente la révolte populiste. Que cette révolte se
déroule dans les Midlands anglais ou dans l’Amérique profonde. Je crois
que les gens ont en marre. Quand vous lisez dans la presse, « Le Tea
party ne fait que perdre les élections », c’est du grand n’importe quoi.
Si nous ne gagnons pas les élections, nous forçons [au moins] ces
capitalistes népotiques à venir admettre qu’ils n’agiront plus de la
même manière à l’avenir. À Washington, tout le narratif a été modifié
par cette révolte populiste que nous considérons comme la base du
mouvement du Tea party. Et c’est précisément parce que ces sauvetages de
banques ont été complètement et totalement injustes.
Ça
n’a en rien rendu ces institutions financières plus fortes, et ça a
renfloué un tas de gens — au passage, ce sont des gens qui ont tous fait
leurs études à Yale ou Harvard, ils ont fréquenté les plus grands
établissements de l’Occident ; ils auraient dû faire preuve de plus de
discernement. Ces cabinets comptables, ces cabinets juridiques, ces
banques d’investissement, ces entreprises de consulting, c’est l’élite
de l’élite, l’élite instruite. Des institutions. Ils comprenaient très
bien ce qu’ils faisaient, ils mettaient la main sur tous les bénéfices
et puis ensuite ils se tournaient vers le gouvernement, ils allaient
tendre la sébile pour être renfloués. Et à ce jour ils n’ont jamais eu à
rendre de comptes. Croyez-moi, ils vont rendre des comptes. Il y a un
mouvement populiste, aux États-Unis, qui s’appelle le Tea party.
Harnwell :
Je crois que nous avons encore le temps d’une ou deux questions pour
Stephen K. Bannon, président de Breitbart Media, la troisième plus
grande entreprise de presse aux États-Unis. Je sais que vous êtes un
homme très, très occupé, aussi nous vous sommes très reconnaissants pour
le temps que vous accepté de nous consacrer afin de conclure cette
conférence.
Bannon : Je ne suis jamais trop occupé quand il s’agit d’échanger avec un groupe capable de faire autant de bonnes choses que vous tous.
Questionneur :
Quelle est d’après vous la plus grande menace, aujourd’hui, pour la
civilisation judéo-chrétienne ? La laïcité, ou le monde musulman ? À mon
humble opinion, tout ce qu’ils font, c’est essayer de se défendre face à
notre invasion culturelle. Merci.
Bannon :
C’est une très bonne question. Je pense certainement que la laïcité a
sapé la capacité de I’Occident judéo-chrétien à défendre ses valeurs, on
est d’accord ? Si vous retournez chez vous et que vous vous présentez
comme un partisan de la défense de l’Occident judéo-chrétien et de ses
valeurs, bien souvent, surtout quand vous avez affaire à des membres de
l’élite, vous êtes considéré comme quelqu’un d’un peu bizarre. Donc ça a
en quelque sorte sapé cette capacité. Mais je crois fermement que
quelles qu’aient été les causes de cet essor actuel du califat — et on
peut en discuter, et certains peuvent essayer de les déconstruire — nous
avons à faire face à un fait très déplaisant : et ce fait déplaisant,
c’est qu’il y a une guerre majeure qui se prépare, une guerre qui est
déjà globale. Elle devient globale par son échelle, et par la
technologie d’aujourd’hui, par les médias d’aujourd’hui, par l’accès aux
armes de destruction massive. Ça va conduire à un conflit mondial
auquel, à mes yeux, il faut faire face aujourd’hui. Chaque jour où nous
refusons de regarder ce conflit tel qu’il est, et son ampleur, et sa
nocivité, sera un jour où vous regretterez de n’avoir pas agi [inintelligible].
Questionneur :
Merci beaucoup. Je viens de Slovaquie. En fait c’est l’origine de mes
deux questions, très rapides. Merci beaucoup pour le travail que vous
faites pour promouvoir les valeurs judéo-chrétiennes dans le monde.
J’apprécie vraiment cela, et je sens également que le danger est très
grand. J’ai deux petites questions, parce que vous avez parlé, à propos
de l’UKIP et du Front national [inintelligible]. D’un point de
vue européen, en écoutant le langage qui s’est de plus en plus
radicalisé de la part de ces deux partis, notamment avant les élections
au Parlement européen, je me demande simplement si vous avez des projets
pour aider ces partenaires européens à se concentrer peut-être sur les
questions de valeurs, et non sur le populisme. Et aussi, vous avez
mentionné l’implication de l’État dans le capitalisme comme l’un des
grands dangers. Mais ces deux partis que vous avez cités, ils en ont en
fait des liens étroits avec Poutine, qui est le promoteur de ce grand
danger, donc je voudrais connaître votre opinion là-dessus, et la façon
dont vous allez gérer cela.
Bannon : Pourriez-vous me résumer la question ?
Harnwell :
La première question était : vous avez fait référence au Front national
et à l’UKIP comme ayant dans le profil de leurs électeurs des éléments
liés à la question raciale, et le questionneur vous demandait comment
vous comptiez gérer cet aspect des choses.
Bannon :
Je ne crois pas avoir cité l’UKIP à cet égard. Je parlais en réalité
des partis continentaux, le Front national et d’autres partis européens.
Je ne suis pas un expert de ces questions, mais il semble qu’ils aient
abrité certaines dimensions qui aient pu être antisémites ou raciales.
Cela dit, même au Tea party nous avons un vaste mouvement du même type,
et nous avons été critiqués : ils essaient de faire passer le Tea party
pour un mouvement raciste, etc., ce qu’il n’est pas. Mais il y a
toujours des éléments qui sont dans ce genre de choses, qu’il s’agisse
de miliciens ou autres. Dont certains viennent de groupuscules
extrémistes. Ce que je crois, c’est qu’avec le temps tout ça finit par
être balayé, non ? Les gens comprennent ce qui les rassemble, et les
gens des groupuscules se retrouvent de plus en plus marginalisés, à mon
sens.
Je
crois qu’on constate cela dans le mouvement populiste de centre-droit
[observé en] Europe continentale. J’ai passé pas mal de temps avec
l’UKIP, et je peux vous dire que je n’ai jamais rien vu là-bas qui soit
même proche de cela. Je pense qu’ils ont fait un excellent boulot
d’assainissement en leur sein pour s’assurer véritablement que les gens
comme le British National Front et d’autres ne figurent pas dans le
parti. Je pense qu’on a observé la même chose avec les groupes du Tea
party, où on pouvait voir certaines personnes qui étaient des sortes de
membres marginaux du parti, et le Tea party, très tôt, a brillamment
réussi à faire le ménage en son sein. Je pense que c’est la raison pour
laquelle, quand on entend des accusations de racisme à l’encontre du Tea
party, ça ne prend pas auprès du peuple américain, parce qu’il sait
vraiment à quoi s’en tenir. Je crois que lorsqu’on observe n’importe
quelle révolution — et il s’agit d’une révolution — on a toujours des
groupes disparates. Je pense que tout cela va s’évacuer avec le temps et
qu’on verra de plus en plus un mouvement populiste de centre-droit
classique.
Questionneur :
À l’évidence, avant les élections européennes, les deux partis en
question ont eu des liens manifestes avec Poutine. Si l’une des
incarnations des dangers du capitalisme est l’implication de l’État,
alors, à mon avis, il y a aussi Marine Le Pen faisant campagne à Moscou
avec Poutine, et aussi l’UKIP défendant fermement les positions
géopolitiques russes.
Vladimir Poutine s'adresse à l'Eglise othodoxe d'Orient |
Bannon :
Je crois que c’est un petit peu plus complexe. [Dans le cas de]
Vladimir Poutine, quand vous vous penchez vraiment sur certains des
fondements de ses convictions aujourd’hui, nombre d’entre eux
proviennent de ce que j’appelle l’eurasianisme. Il a un conseiller qui
trouve son inspiration chez Julius Evola et différents auteurs du début du 20e
siècle, qui sont vraiment des tenants de ce que j’appelle le mouvement
traditionaliste, qui a fini par métastaser et prendre la forme du
fascisme italien. De nombreuses personnes, traditionalistes, sont
attirées par cela. L’une des raisons, c’est qu’elles croient que
Poutine, au moins, défend les institutions traditionnelles, et il essaie
de le faire sous la forme du nationalisme. Je pense que les gens,
particulièrement dans certains pays, veulent voir leur pays souverain,
ils veulent le nationalisme pour leur pays. Ils ne croient pas à cette
espèce d’Union paneuropéenne, ils ne croient pas au gouvernement
centralisé aux États-Unis. Ils préfèreraient quelque chose qui ressemble
davantage à une entité basée sur les États — telle que l’avaient mise
en place les pères fondateurs — et où les libertés sont contrôlées au
niveau local.
Je
ne suis pas en train de dédouaner Vladimir Poutine et la kleptocratie
qu’il représente, parce qu’au bout du compte il est le capitaliste
d’État de la kleptocratie. Toutefois, nous, l’Occident judéo-chrétien,
nous devons vraiment écouter ce qu’il dit en matière de traditionalisme —
particulièrement dans la façon [dont ce traditionalisme soutient] les
fondements du nationalisme — et il se trouve que je pense que la
souveraineté particulière d’un pays est une bonne chose, une chose
forte. Je pense que les pays forts et les mouvements nationalistes forts
font des voisins forts. Ce sont les piliers grâce auxquels on a pu
bâtir l’Europe occidentale et les États-Unis, et je pense que c’est ce
qui nous permet d’aller de l’avant.
Vous
savez, Poutine est un personnage des plus intéressants. Il est aussi
très, très, très intelligent. Je le constate aux États-Unis où son
message sur les valeurs traditionnelles exerce un fort effet sur les
conservateurs sociaux, donc je crois que c’est quelque chose auquel nous
devons faire très attention. Parce qu’au bout du compte, je pense que
Poutine et ses acolytes constituent en réalité une kleptocratie, et une
puissance impérialiste qui veut s’étendre. Néanmoins, je crois vraiment
que dans cet environnement actuel, quand vous êtes face à un nouveau
califat potentiel qui se montre extrêmement agressif — je ne dis pas
qu’on peut mettre ça entre parenthèses, mais je crois qu’il faut d’abord
s’occuper des urgences.
Questionneur :
L’une de mes questions concerne la manière dont l’Occident devrait
répondre à l’islam radical. Comment, précisément, devrions-nous en tant
qu’Occident répondre au djihadisme sans perdre notre âme ? Parce que
nous pouvons gagner la guerre et nous perdre en même temps. Comment
l’Occident devrait-il répondre à l’islam radical sans se perdre en
chemin ?
Bannon : D’une perspective peut-être un peu plus militante que d’autres [inintelligible].
Je crois qu’il faut prendre une position très, très, très agressive
contre l’islam radical. Et j’ai conscience qu’il y a d’autres aspects
qui ne sont pas aussi militants, pas aussi agressifs, et c’est bien
comme ça. Si vous regardez la longue histoire du combat de l’Occident
judéo-chrétien contre l’islam, je crois que nos ancêtres sont restés
fermes, et je crois qu’ils ont eu raison. Je pense qu’ils l’ont maintenu
en dehors de [leur] monde, que ce soit à Vienne, à Tours, ou ailleurs…
Ce
que nous avons reçu en héritage, c’est la grande institution qu’est
l’Église d’Occident. Et je voudrais demander à tout le monde dans le
public aujourd’hui, parce que vous êtes vraiment les moteurs, les
pilotes, les agitateurs et les leaders d’opinion de l’Église catholique
d’aujourd’hui, de réfléchir : quand des gens dans cinq siècles se
pencheront sur notre époque, pensez aux actions que vous avez menées —
et je crois que chacun ayant un lien avec l’Église et un lien avec
l’Occident chrétien croit dans ce qui les fonde et dans leurs valeurs,
et veut voir [cet héritage] légué aux générations futures comme il nous a
été légué. Tout spécialement quand vous êtes dans une ville comme Rome,
et en un lieu tel que le Vatican. Regardez ce qui nous a été légué—
demandez-vous, chacun, « Dans cinq cents ans, qu’est-ce qu’ils diront de
moi ? Qu’est-ce qu’ils diront de ce que j’ai fait lors des premières
phases de cette crise ? »
Parce
que c’est une crise, et elle n’est pas près de s’arrêter. Vous n’avez
pas besoin de me croire sur parole. Il vous suffit de lire les journaux
tous les jours, de voir ce qui se passe, de voir ce qu’ils publient sur
Twitter, sur Facebook, de voir ce qui passe sur CNN, à la BBC. Regardez
ce qui se passe, et vous verrez que nous sommes dans une guerre qui a
d’énormes proportions. Il est très facile de faire appel à nos instincts
les plus bas, et nous ne pouvons pas le faire. Mais nos ancêtres ne
l’ont pas fait davantage. Et ils ont été capables d’éviter ça, de
vaincre cet ennemi, et ils ont été capables de nous léguer une Église et
une civilisation qui est véritablement la fleur de l’humanité, aussi je
crois qu’il revient à chacun d’entre nous de passer par ce que
j’appelle une épreuve de vérité, de réfléchir vraiment à ce qu’est notre
rôle dans la bataille qui nous attend.
[1] Ayn
Rand (1905-1982), philosophe et romancière américaine d’origine russe,
créatrice de la doctrine objectiviste et théoricienne d’un capitalisme
ultra-individualiste