LA PEUR DU VIDE








 


Palme d’or conspuée à Cannes en 1987, son adaptation du roman de Georges Bernanos figure sans doute le sommet de l'oeuvre de Maurice Pialat et un moment de perfection dans la carrière de Gérard Depardieu et de Sandrine Bonnaire.



Gérard Depardieu et Jean-Christophe Bouvet dans Sous le soleil de Satan

A revoir ce film, et se souvenant qu'il fut hué par les festivaliers cannois, les mêmes qui se pâment aux démagogies sans péril des Moore ou Bégaudeau, on est un instant accablé de la rémanente médiocrité des temps, puis l'écume s'évapore dans l'azur essentiel. L'adaptation du Soleil de Satan, produite par Daniel Toscan du Plantier, exhaussée par la musique d'Henri Dutilleux, s'inscrit avec une force pénétrante dans l'œuvre d’un cinéaste dont l'exigence et l'empathie mal léchée trouvent ici un terrain à leur mesure. La commune fascination de Bernanos et de Pialat pour le mystère de l'incarnation y guide l'avidité rédemptrice de l'abbé Donissan (Gérard Depardieu), confrontée dans la boue et le vent de l'hiver boulonnais à « l'effroyable monotonie du péché » et à « la tentation du désespoir ». L'humanité fait ce qu'elle peut au « morne champ de bataille des instincts », sous les traits de la jeune fille indigne, Mouchette, Sandrine Bonnaire extraordinaire – humanité que Bruno Dumont peindra plus tard avec une égale compassion.

  

Sandrine Bonnaire

Nuit obscure



Entre sèche clarté (Bergman, Bresson) et pâleur pastel (le Brisseau de Céline), la lumière, volontiers luthérienne, évoque, jusqu’à certaine scène, Dreyer et son Ordet cher à Pialat. Qui trop éclaire mal étreint : la curiosité dévore les inconsolés et la grâce les écrase, même doués de lucidité, s'ils oublient qu’elle ne sauve pas seule. On pense à Mère Teresa, à la nuit qu'elle avoua être sienne pour n'avoir pas la foi, et à sa vie de sainte. A Simone Weil aussi : "Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c'est supporter le vide. La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c'est elle qui fait ce vide. Vide : nuit obscure. Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance. Mais il ne faut pas s'y jeter." C.F.



Article paru en octobre 2008 dans Le Nouvel Observateur