LA FÊTE DE L'INANITÉ
Présenté en son temps comme un film événement, ce Nikita sonne plutôt creux, comme la plupart des marchandises culturelles qui inondent l'espace médiatique :
l'archétype de ces produits qui n'ont plus du cinéma que le souvenir qu'a bien voulu leur en laisser la pub, ainsi que le disait Serge Daney.
Anne Parillaud |
Dévoilé
en 1990 après moult coquetteries, Nikita
est la quatrième livraison d'un éternel jeune homme que son Grand Bleu, trois ans plus tôt, avait
élevé au rang de bocal-héraut pour foules adolescentes. Le Dernier Combat, Subway,
bien avant Atlantis, Léon et le triomphal 5e Elément, puisaient de fait
à la source préférée de ce public à peine pubère dont Luc Besson a fait son
coeur de cible. « La bande dessinée, c'est pour moi le moyen de communication
numéro deux, derrière le cinéma mais devant la radio, la télévision, les
livres, l'informatique, la vidéo. C'est la seule chose que je lise. » Quand
Mowgli, cependant, lui en laisse le temps. « Le Livre de la jungle est le film de toute l'histoire du cinéma que
je connais le mieux. Chaque fois qu'il ressort, je vais le voir deux fois (1). »
En
attendant, Nikita, annonciateur de la
carrière américaine de son géniteur, ne dépasse jamais le mode mineur, suite de
spots ou de clips sans fin, peu importe : un de ces films qui n'ont plus du
cinéma que le souvenir qu'a bien voulu leur laisser la pub (Serge Daney). Un
sous-James Bond brutal où tout sonne creux, à commencer par la révolte sans
objet de ses transparents personnages. Bien loin de la planète BD dont il se
veut un satellite, ce monde sans âme et sans bouquins n'arrive pas à exister.
Le moindre Navarro — revanche
paradoxale de la petite lucarne — est plus imaginatif, mieux écrit, plus utile
que ce produit marketing qui n'a vécu que par son affiche, son titre claquant
comme une rafale de mitraillette, par la construction minutieuse d'un événement
interdit avant projection aux journalistes mal pensants. C'est du ciné
laborieux comme le système en raffole, bien forcé de remplir, entre deux écrans
de pub, les cases fiction de ses innombrables réseaux. Une campagne efficace,
une bande-son vaguement branchée et quelques kilomètres de pellicule
impressionnée, c'est assez aujourd'hui pour transformer en chef-d'oeuvre la
plus vaine besogne. L'époque a si peur de se poser des questions qui ne lui
seraient pas suggérées par l'environnement médiatique auquel elle est habituée,
qu'elle gobe de préférence, et goulûment, les émotions prémâchées, partagées si
possible avec le plus grand nombre ; le panurgisme anxieux a besoin des
réputations préétablies qu'on lui jette en consommable pâture pour lui éviter
d'avoir à exercer quelque chose qui pourrait ressembler à du discernement. Ainsi
prospère la corporation des prescripteurs qui, de séquences « culture » pour
queue de JT en dossiers de presse poliment recrachés, garantit la destinée
financière de marchandises consacrées avant que d'avoir été ingurgitées. Le
cinéma de Besson appartient à cette catégorie d'entreprises kulturelles
artificielles qui, de toute la puissance de leurs effets spéciaux, maintiennent
la tête sous l'eau aux tentatives originales, incontrôlables, révolutionnaires
dont ce siècle a besoin. Une déclinaison artistique, parmi d'autres, du
supplice de la baignoire. C.F.
De profundis
Nikita conte l'histoire d'une
toxicomane hirsute, enfant sauvage arrachée à la jungle urbaine par des
services secrets décidés à exploiter son apparente inhumanité. L'idée n'est pas
si mauvaise, et l'on n'ose rêver à ce qu'un vrai cinéaste — ou deux : les frères
Coen par exemple — en aurait fait. Anne Parillaud s'applique, dans les limites
d'un scénario qui la prive de substance et la promène d'hystérie en crise de
larmes sur les rails d'un destin sans surprise. La jeune furie ne se rebelle
pas, se soumet au contraire à l'ordre souterrain et criminel de ses nouveaux
tuteurs. Lorsqu'elle disparaît, nous indiquant la fin du film, elle ne laisse
pas de traces, elle a plongé dans le grand bleu de l'irresponsabilité et laissé
le spectateur sur sa faim en queue de poisson. Elle est l'héroïne d'un cinéma
qui ne sait pas où il va mais préfère visiblement les rassurants abysses à la
planète des méchants hommes. Chez Besson tout baigne, et c'est ça qui fait
peur.
Article paru le 6 décembre 1997 dans Le Nouvel Observateur